Quelle contribution de la France pour l’atteinte de l’objectif climatique européen de 2030 ?

Les Etat membres européens, dont la France, devront rehausser leurs objectifs climatiques nationaux afin d’ajuster leur contribution au nouvel objectif européen pour 2030, et ce rapidement.

L’objectif climatique français à l’horizon 2030, fixé dans la Loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) de 2015, prévoit de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 40 % (par rapport à 1990). Cet objectif national ne sera pourtant plus conforme au nouvel objectif européen de baisse des émissions nettes de GES d’au moins 55% par rapport à 1990, proposé par la Commission européenne dans son Pacte Vert pour l’Europe en septembre 2020. Ce nouvel objectif communautaire, qui est entériné dans la nouvelle loi Climat européenne récemment adopté par les législateurs européens, deviendra par là-même contraignant pour les Etats membres. Dans ce contexte, la France devra rehausser son objectif national, afin d’ajuster sa contribution à l’effort européen.

Selon une analyse récente réalisée avec l’Öko-Institut, ce rehaussement de l’objectif français devrait atteindre -54% net d’émissions en 2030 par rapport à 1990, soit -49% sans tenir compte des émissions négatives liées à l’Utilisation des Terres, au Changement d’Affectation des Terres et à la Foresterie (UTCATF). Cette réduction des émissions se partage entre les secteurs couverts par le système communautaire d’échange de quotas d’émission (EU ETS) et les secteurs couverts par la législation relative à la répartition de l’effort climatique entre Etats membres (ESR), tels que les transports, les bâtiments, l'agriculture et la gestion des déchets.

En ce qui concerne le mécanisme ETS, l’objectif de baisse des émissions des secteurs concernés (‑43% actuellement au niveau communautaire en 2030 par rapport à 2005) vaut pour l’ensemble du marché des quotas et non pour les Etats membres individuellement. Les émissions ETS ont baissé de 33% (41%) entre 2005 et 2019 (2020) (données Agence européenne pour l'environnement). Les émissions ETS pouvant être réduites à moindre coût, il a été estimé que l’effort fourni devra être plus important, atteignant -65% par rapport à 2005 au niveau communautaire (voir pour cela notre analyse publiée en août 2020). Une estimation de la répartition de l’effort ETS a été calculée par pays selon leur part du niveau des émissions autorisées (plafond) afin d’estimer leur contribution à l’objectif communautaire. Pour la France, cela représente une baisse des émissions du secteur ETS de -66%. En comparaison, les émissions des installations françaises ont déjà été réduites de 39% (47%) entre 2005 et 2019 (2020).

En ce qui concerne les émissions couvertes par le mécanisme ESR, l’objectif national contraignant défini pour la France s’établit aujourd’hui à -37% en 2030 (par rapport à 2005) contre -30% au niveau communautaire. Selon l’analyse de l’Öko-Institut, cet objectif français devrait être réhaussé à -43%, soit une augmentation de 6 points de pourcentage. En comparaison, les émissions ESR ont été réduites de 10% entre 2005 et 2018 au niveau communautaire et de 14% en France. Si les émissions du secteur agricole devaient être rattachées aux émissions UTCATF (devenant le secteur AFOLU), comme le laisse penser la version provisoire du futur règlement sur les émissions et les absorptions de gaz à effet de serre par les sols et les forêts, la contribution des secteurs ESR restants (bâtiment, transport, petite industrie et déchets) va augmenter. En effet, les émissions du secteur de l’agriculture sont plus difficiles à réduire et on estime à 16% la réduction des émissions possible dans ce secteur d’ici 2030 avec des mesures additionnelles (scénario WAM de la Commission). Les autres secteurs ESR devront par conséquent réduire leurs émissions collectivement de 49% par rapport à 2005.

Ces nouveaux objectifs sont ambitieux et exigeront la mise en œuvre de mesures allant au-delà de celles existantes et prévues dans le projet de loi "Climat et Résilience", actuellement en cours d’examen en deuxième lecture, et qui vient concrétiser une partie des 146 propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Ces ajustements sont néanmoins indispensables à l’atteinte des objectifs français et européens de neutralité climatique au plus tard d’ici 2050 et doivent être déclinés au plus vite. Deux raisons à cela :

  1. Les efforts climatiques les plus importants ne devraient pas être repoussés à l’après 2030. Les émissions annuelles de gaz à effet de serre en France (Métropole et Outre-mer ; hors secteur UTCATF) sont passées de 544 Mt CO2e en 1990 à 436 Mt CO2e en 2019, soit une baisse de 20% sur la période (chiffres Citepa). Cela correspond à une baisse annuelle de 3,7 Mt CO2e par an. L’objectif climatique actuel de -40% prévoit de tripler la baisse annuelle des émissions (à -11 Mt CO2e par an) entre 2020 et 2030. Si elle apparait significative, cette accélération repousse en fait aux décennies au-delà de 2030 un effort encore plus important (de près de -15 Mt CO2e par an) pour atteindre la neutralité climatique en 2050 (dans le cas où les émissions négatives resteraient au niveau actuel de 31 Mt CO2e à long terme). L’effort annuel sur la période 2020-2030 doit donc être rehaussé afin de lisser les efforts sur les années restantes. Cela permettrait en outre d’éviter jusque 660 Mt d’émissions cumulées de GES sur la période 2021-2050.
     
  2. Le niveau des émissions négatives pourrait être significativement inférieur aux estimations actuelles. Les émissions négatives naturelles (UTCATF) ont historiquement largement varié en fonction de la gestion forestière, des pratiques agricoles, des politiques d’artificialisation des terres et de la préservation des prairies et des zones humides. Celles-ci sont en baisse depuis 2006 non seulement en France, mais aussi à l'échelle de l'UE et la somme des projections nationales fournies par les gouvernements respectifs à l’Agence européenne pour l'environnement mène à une baisse continue jusqu’en 2035. Ces puits carbones ont atteint en France leur niveau maximum observé de 46 Mt CO2e en 2006 (soit plus du double du niveau de 1990), et sont estimées à 31 Mt CO2e pour 2019. La Stratégie nationale bas carbone 2 (SNBC-2), feuille de route de la France pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, tient compte en revanche de 40 Mt CO2e en moyenne d’émissions négatives UTCATF annuelles sur la période allant de 2019 à 2033, soit 30% de plus que le niveau réel prévisionnel pour 2019, sur la base d’une action très volontariste dans ce secteur. Elle anticipe plus de 60 Mt CO2e en 2050, auxquelles s’ajouteraient environ 20 Mt CO2e d’émissions capturées et stockées. Ces niveaux de puits carbone (40 Mt CO2 jusqu’en 2030, et plus de 60 Mt CO2e en 2050) semblent aujourd’hui assez peu réalistes et nécessiteraient une action massive et rapide de la France en faveur de la biodiversité et d’une gestion durable des forêts, des prairies et des zones humides.

La France, comme tous les autres Etats membres, doit soumettre à la Commission européenne, d’ici juin 2023, une version actualisée préliminaire de son plan national intégré en matière d’énergie et de climat (PNIEC) à l’horizon 2030. La SNBC et la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), à la base du PNIEC, devront ainsi être mises à jour pour les périodes 2024-2028 et 2029-2033, afin de décliner ces nouveaux objectifs dans des trajectoires sectorielles de réduction des émissions. Une bonne nouvelle : la SNBC prévoyait déjà une trajectoire légèrement supérieure à l’objectif, visant à atteindre -43% d’émissions. Ainsi, l’écart à combler n’est que de 6 points de pourcentage – l’Allemagne, qui a déjà annoncé un rehaussement de ses objectifs climatiques à -65% d’émissions en 2030, doit elle combler un écart de 12 points de pourcentage par rapport à son PNIEC actuel. Il n’y a donc pas de temps à perdre : les objectifs nationaux doivent être rehaussés au plus vite et les mesures de mise en œuvre accélérées.

Les études récentes (BCG, I4CE) de même que le Conseil d’Etat dans sa décision inédite rendue le 1er juillet sont unanimes : les mesures de politique publique en place permettront tout au plus d’atteindre l’objectif de -40% d’émissions. Accélérer cet effort nécessitera des investissements complémentaires massifs dans tous les secteurs et ce rapidement. Le plan de relance économique qui fait suite à la pandémie représente une opportunité importante pour orienter les dépenses publiques vers des investissements durables qui soutiendront le développement des technologies propres et éviteront le développement d’actifs échoués.

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