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Le plan de 130 milliards d’euros annoncé début juin par le gouvernement allemand prévoit des investissements importants en faveur du climat, bien qu'il appelle à davantage d'efforts dans les secteurs tels que le bâtiment.

Le plan de sortie de crise allemand a été dévoilé par le gouvernement de coalition dans la nuit du 3 au 4 juin dernier. D’un total de 130 milliards d’euros, et donc largement supérieur au volume initialement attendu, il prévoit près de 35 milliards d’euros pour les investissements en faveur du climat, notamment dans le secteur du transport et dans le développement d’une filière hydrogène, reprenant en partie les propositions formulées par Agora Energiewende.1 Si le constat en première approche est plutôt positif, des efforts restent néanmoins requis, particulièrement dans le secteur des bâtiments, pour l’acceptabilité des énergies renouvelables (ENR) électriques ou la baisse de la taxation sur l’électricité. La mesure phare de baisse transitoire de 3 points de TVA préférable à une prime à la casse automobile mais non ciblée sur les activités durables pourrait en outre favoriser la consommation d’énergie fossile. Le plan de relance tel que présenté envoie cependant un signal fort pour la direction que prendra la politique économique et climatique allemande, alors que le pays reprend la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne à partir du mois de juillet.
Le plan de relance allemand repose sur trois piliers, qui structurent l’action gouvernementale jusqu’en 2021 : une relance économique à court terme (environ 78 milliards d’euros), des investissements pour le futur et dans les technologies vertes (environ 50 milliards d’euros) et la solidarité européenne et internationale (3 milliards d’euros venant en sus des efforts prévus dans le plan de relance de la Commission européenne).
Les mesures en faveur du climat se trouvent dans les deux premiers piliers. À court terme, une légère baisse de la contribution EEG2 devrait réduire le coût de l’électricité pour les petits consommateurs (ménages et PME), pour un coût estimé de 11 milliards d’euros. Il s’agit d’une première étape vers le financement du soutien aux ENR par le budget général, qui sera bientôt abondé par la taxe CO2, dont l’introduction est prévue en Allemagne pour 2021. Cette mesure est à rapprocher de la démarche prise par la France avec la réforme de la contribution au service public de l’électricité (CSPE), favorisant à plus long terme l’électrification des usages. Surprise du plan de sortie de crise, le gouvernement a opté en outre pour une réduction de 3 % de la TVA à partir de juillet 2020 jusqu’à la fin de l’année afin d’augmenter le pouvoir d’achat des ménages, pour un coût total estimé à 20 milliards d’euros. Cette mesure ne favorise pas spécifiquement les modes de consommation les plus durables et aboutit même plutôt à favoriser la poursuite de la consommation des énergies fossiles. Pour une politique économique et climatique efficace et juste, une réforme plus poussée du mécanisme de soutien aux ENR et de la taxation de l’électricité devrait être privilégiée afin d’améliorer durablement le pouvoir d’achat des ménages et la trésorerie des PME : elle devrait viser la baisse du prix de détail de l’électricité et une hausse des prix des énergies fossiles à travers une hausse du prix du CO2 dans les secteurs non ETS (Emissions Trading system), le bâtiment et le transport.
À plus long terme, une forte impulsion est donnée aux transports et à la filière hydrogène, alors que les mesures en faveur de la décarbonation du secteur des bâtiments demanderaient à être renforcées.
Dans le secteur de la mobilité, en opposition aux mesures prises lors de la crise économique de 20083, aucune prime n’a été accordée pour l’acquisition de véhicules thermiques, une décision quasi historique considérant l’importance du secteur automobile dans l’économie allemande. Le plan de relance prévoit le doublement dès le mois de juillet du bonus écologique versé par l’État pour l’achat d’un véhicule électrique jusque fin 2021 (2,2 milliards d’euros), le soutien au développement d’une infrastructure de recharge et d’une filière batteries (2,5 milliards d’euros), la modernisation des flottes poids lourds, maritimes et aériennes (3,2 milliards d’euros) ou encore le soutien aux transports publics, qui ont largement souffert de la baisse de fréquentation due au confinement (2,5 milliards d’euros). En outre, 5 milliards d’euros additionnels sont alloués pour l’augmentation de capital de la Deutsche Bahn déjà prévue à hauteur de 10 milliards d’euros à l’horizon 2030.
Le développement d’une filière allemande de l’hydrogène, et plus particulièrement d’hydrogène vert (produit par électrolyse à partir d’électricité renouvelable), avec pour objectif d’en faire une composante clé de la transition, est également annoncé dans le plan, confirmé dans la stratégie nationale hydrogène dévoilée le 10 juin dernier. L’Allemagne souhaite devenir leader de ce secteur pour l‘atteinte de l’objectif de la neutralité carbone, y affectant le budget inédit de 7 milliards d’euros pour le soutien à la construction de 10 GW d’électrolyseurs à l’horizon 2040, possiblement par un processus appels d’offres et avec la mise en place de contrats pour la différence pour le carbone (carbon contract for difference, CCfD)4pour les projets pilotes. Afin de créer des débouchés pour les produits utilisant l’hydrogène vert, des quotas de carburants synthétiques sont à l’étude ainsi que l’instauration de quotas d’acier vert. De plus, 2 milliards d’euros ont été prévus pour le développement de partenariats internationaux dans ce domaine, appelant à une plus forte coopération européenne et internationale.
Le secteur des bâtiments est le laissé-pour-compte du plan de sortie de crise, avec une seule ligne budgétaire pour la rénovation énergétique des bâtiments de 2 milliards d’euros sur deux ans, passant le budget total à 5 milliards d’euros sur la période 2020-2021. Les subventions pour la rénovation énergétique des bâtiments publics locaux et des logements sociaux devraient également être rehaussées, sans autre précision. Les besoins de financement de ce secteur avaient été estimés par Agora Energiewende à 25 milliards d’euros afin d’accélérer le rythme des rénovations et le développement d’une filière de rénovation en série.
La mise en œuvre du plan de relance allemand sera concrétisée dans les prochaines semaines, alors que les négociations européennes se poursuivent autour du plan de relance proposé par la Commission européenne fin mai. L’alignement de l’Allemagne sur les directions proposées par l’UE est à noter, d’autant que les débats en la matière étaient intenses, et montre l’engagement du pays dans le projet européen et sa volonté de coopérer avec ses partenaires européens. Les initiatives européennes, notamment dans le cadre des projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) dans les secteurs clés du futur, à savoir l’hydrogène bas-carbone, l’acier vert ou le déploiement de bornes de recharge pour véhicules électriques à travers l’Europe, pourraient constituer un axe important de renforcement de cette coopération.
Ce billet de blog a initialement été mis en ligne sur le site de l'Iddri.
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[2] Il s’agit de l’équivalent de l’ancienne CSPE en France pour le soutien aux énergies renouvelables électriques et s’appliquant à la facture électrique, pesant ainsi essentiellement sur les ménages et les PME, et les industries électro-intensives faisant l’objet d’exemptions. La contribution devrait être réduite à 6,5 c€/kWh dès 2021 (contre 6,756 c€/kWh en 2020), et à 6 ct/kWh en 2022.
[3] Une prime à la casse de 2 500 € avait été prévue dans le programme de relance économique de 2009. En France, la prime à la conversion annoncée dans le plan de relance de la filière automobile en mai 2020 est également applicable à l’achat de véhicules thermiques.
[4] Ces CCfD permettraient de couvrir le surcoût d’investissement et d’opération de ces technologies afin de les amener à maturité. Voir l’étude Iddri sur ce thème.
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